É​nergies renouvelables et biodiversité sont-elles irréconciliables ?
Le déclin de la biodiversité est une réelle menace pour les sociétés humaines. Les énergies renouvelables, en luttant contre le réchauffement climatique, contribuent à diminuer les pressions sur la biodiversité. Leur impact sur la biodiversité, bien que non nul, reste généralement bien inférieur à celui causé par les énergies fossiles.
Par Constance Groisne, Responsable Décarbonation chez Inuk
Inuk est une entreprise française, spécialiste de la contribution carbone. Inuk a développé en 2018 la première technologie de traçabilité appliquée au crédits carbone. Nous proposons aux entreprises des crédits carbone made in Europe parmi les plus fiables du marché. Nos équipes accompagnent aussi au quotidien des entreprises de toute taille dans leur transition bas-carbone.
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C'est un des arguments préférés des détracteurs des énergies renouvelables : elles seraient néfastes à la biodiversité. L'image la plus répandue est probablement celle de l'oiseau qui rentre en collision avec une pale d'éolienne, sous-entendant ainsi qu'en voulant sauver une des limites planétaires, on en dégraderait ainsi une autre (et posant au passage, la question de la hiérarchie des combats). La réalité est, vous vous en doutez, bien plus complexe que cela.
Chez Inuk, c'est un sujet qui nous tient particulièrement à cœur, puisque la majorité des projets de contribution que nous proposons sont des énergies renouvelables. Nous sommes de plus en plus interrogés sur les impacts de ces projets sur la biodiversité, et c'est une très bonne nouvelle : la biodiversité a longtemps été la grande oubliée des débats sur l'environnement, et c'est super que les consciences commencent à s'éveiller sur ce sujet. Et ce n'est pas parce que notre expertise est principalement liée au climat que nous fermons les yeux sur les autres impacts environnementaux. Si nous misons autant sur les énergies renouvelables, c'est parce que nous sommes convaincus qu'elles représentent une solution efficace pour la transition écologique dans son ensemble, et pas seulement climatique. C'est ce dont on va essayer de vous convaincre dans cet article !
1. Biodiversité et climat : deux crises interdépendantes
1.1. Le changement climatique et l'érosion de la biodiversité sont des limites planétaires, toutes deux déjà dépassées
Les préoccupations à l'égard du changement climatique chez les citoyens comme les entreprises sont de plus en plus prégnantes : nous commençons enfin à prendre conscience de l'impact que cela peut avoir sur nos vies et sur notre économie.
Bien que l'action climatique soit encore bien en-deçà du niveau requis pour atteindre les objectifs de l'Accord de Paris, rares sont ceux qui ignorent encore de quoi il retourne.
En revanche, bien peu sont conscients que le changement climatique n'est qu'une facette de la crise environnementale complexe dans laquelle nous nous trouvons. En fait, on pourrait presque considérer que le changement climatique n'est qu'1/9ème du problème ! On s'explique : en 2009, une équipe de chercheurs internationale a identifié 9 processus biologiques, physiques et chimiques sur lesquels reposent la vie sur terre, et a déterminé pour chacun d'eux des seuils au-delà desquels les conditions de vie sur terre pourraient être compromises : ce sont les 9 limites planétaires. On compte parmi elles le changement climatique, mais aussi l'érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles de l'azote et du phosphore, ou encore l'acidification des océans. Ensemble, elles définissent un espace de développement sûr pour l'humanité.
Lors de la dernière mise à jour de ces travaux en septembre 2023, 6 de ces 9 limites étaient déjà franchies, dont le réchauffement climatique et l'érosion de la biodiversité [1].
Transformer une économie en intégrant uniquement le changement climatique, c'est ignorer une grande partie de la crise environnementale. Pire, les limites planétaires étant interconnectées, c'est aussi prendre le risque d'adopter des mesures qui pourraient aggraver d'autres aspects. C'est ce qui arrive par exemple lorsqu'on détruit des écosystèmes pour installer des fermes solaires, ou qu'on accroît la pression sur la ressource en eau à cause de la culture intensive de matières premières pour les biocarburants.
1.2. L'érosion de la biodiversité représente une vraie menace pour les êtres humains
On ne s'en rend pas compte, mais la biodiversité est partout dans nos vies : elles nous permet de nous nourrir, de nous vêtir, de nous soigner, de respirer, et même de nous divertir. Autant de services absolument essentiels à nos sociétés, qui sont pourtant largement invisibilisés par leur gratuité. Ces grands oubliés sont appelés les services écosystémiques, et ils sont de plusieurs natures [2] :
  • les services d'approvisionnement : approvisionnement en produits matériels comme la nourriture, l'eau, l'énergie, les matériaux de construction, les matières premières pour les vêtements…
  • les services de régulation : régulation de la qualité de l'air et de l'eau, du climat, de la pollinisation, du pH des océans, des nuisibles et des pathogènes…
  • les services culturels : valeurs immatérielles autour de la nature comme des expériences éducatives, esthétiques, spirituelles, éducatives
  • les services de soutien : représentent la capacité des organismes à assurer la résilience des écosystèmes
Au total, ce serait 50% du PIB mondial qui dépendrait de ces services écosystémiques [3]. Le hic, c'est que la biodiversité ne se porte pas bien, mais alors pas bien du tout : les experts s'accordent pour dire que nous sommes en train d'entrer dans la 6ème extinction de masse (au même titre que l'extinction des dinosaures, donc) [4]. En effet, d'après l'IPBES (l'équivalent du GIEC pour la biodiversité) environ 25% des espèces animales et végétales sont menacées ou risquent de disparaître en quelques décennies [5]. Cette extinction est exceptionnelle de par sa rapidité : le taux de disparition des espèces est au moins des dizaines voire des centaines de fois plus élevé que la moyenne sur les 10 millions d'années écoulées [5], et cela pourrait encore s'accélérer. Une dynamique semblable à celle observée pour le changement climatique : la température de la Terre a toujours connu des variations, mais jamais à un rythme aussi rapide que l'augmentation observée aujourd'hui.
Et cette érosion a des conséquences directes sur les services écosystémiques : sur les 18 services écosystémiques recensés par l'IPBES, 14 sont aujourd'hui en déclin, alors même que notre économie et notre survie en dépendent [5]. Par exemple, plus de 75% des cultures reposent sur la pollinisation animale (la disparition des pollinisateurs pourraient causer des déficits de récolte entre 235 et 577 milliards de dollars), plus de 2 milliards de personnes utilisent du combustible ligneux pour répondre à leurs besoins primaires en énergie, et environ 4 milliards se soignent principalement avec des remèdes naturels [5].
Mais qu'est-ce qui fait tant de mal aux espèces et aux écosystèmes ? L'IPBES a répondu à cette question en identifiant 5 causes majeures, qui sont par ordre de priorité :
La destruction des habitats
Par exemple, 420 millions d'hectares de forêts ont disparu entre 1990 et 2020 [6], notamment au profit de l'agriculture, qui occupe aujourd'hui plus d'un tiers des terres émergées de la planète [5].
La surexploitation des ressources naturelles
Par exemple, 33% des stocks mondiaux de pêches sont surexploités [5].
Le changement climatique
Les émissions de gaz à effet de serre générées par les activités humaines engendrent notamment une augmentation de la température moyenne, des changements dans les régimes des pluies, l'augmentation d'évènements climatiques extrêmes, vous connaissez la chanson. Ces changements sont trop rapides pour que les écosystèmes s'y adaptent, ce qui entraine une hausse de la mortalité et des migrations.
La pollution des océans, des eaux, de l'air et des sols
On trouve par exemple 10 fois plus de plastique dans les océans qu'en 1980, et 300 à 400 millions de tonnes de métaux lourds, solvants, et boues toxiques sont déversées dans les eaux du globe chaque année [5].
L'introduction d'espèces exotiques envahissantes
Les activités humaines entraînent l'introduction d'espèces dans des écosystèmes qui ne sont pas les leurs, et peuvent parvenir à s'y adapter. Les dégâts peuvent alors êtres considérables : c'est par exemple la seconde cause d'extinction des espèces dans les îles, mais ces espèces exogènes peuvent également être vectrices de maladies pour l'humain. Au total c'est 1/5ème de la surface terrestre qui serait menacée par les invasions végétales et animales [5].
Le changement climatique fait donc partie des pressions sur la biodiversité, mais ce n'est pas la seule ni la plus significative. Pour combattre l'érosion de la biodiversité, ce sont les 5 causes identifiées qui doivent être adressées. Concluons cette partie sur l'importance vitale de la biodiversité avec cette citation de Robert Watson, ancien président de l'IPBES [7] :
"Nous sommes en train d'éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier."
- Robert Watson, ancien président de l'IPBES
Ce n'est certes pas très réjouissant, mais c'est une bonne manière de résumer le paradoxe dans lequel nous nous trouvons.
1.3. Climat et biodiversité ne peuvent pas être traités comme deux problèmes distincts
Vous l'aurez compris, l'effondrement de la biodiversité n'est pas seulement un problème éthique : c'est une réelle menace pour nos modes de vie, et même pour notre survie, de la même façon que le changement climatique.
Climat et biodiversité représentent 2 limites planétaires distinctes, mais elles sont cependant très liées. On l'a vu, le changement climatique est une des 5 pressions qui s'exercent sur la biodiversité : il peut aller jusqu'à la destruction d'écosystèmes et des services écosystémiques associés. Par exemple, l'augmentation de la température des océans cause le dépérissement des récifs coraliens (blanchissement des coraux), alors que ces-derniers fournissent de nombreux services écosystémiques aux communautés locales (ressources liées à la pêche, protection des côtes, revenus liés au tourisme sous-marin…). Lutter contre le réchauffement climatique permet donc de préserver la biodiversité.
Mais l'inverse est également vrai ! La biodiversité contribue à réguler le climat, notamment à travers la séquestration du carbone dans les écosystèmes (dans les végétaux, mais aussi dans les sols et les océans). Ainsi, plus de 50% du CO2 anthropique est absorbé par la photosynthèse et par la dissolution du CO2 dans l'océan [8]. En préservant nos écosystèmes, on protège donc des puits de carbone. Au contraire, en les dégradant, par exemple via le changement d'affectation des sols, on augmente les émissions de CO2 dans l'atmosphère, et donc le réchauffement climatique.
"A sustainable society requires both a stabilized climate and healthy ecosystems."
- Rapport IPBES x IPCC [8]
Ces 2 limites planétaires sont donc indissociables, et elles partagent des causes communes : les activités humaines. Mais cela ne signifie pas que toute solution visant à préserver le climat sera bénéfique à la biodiversité, et vice versa. Par exemple, raser une forêt pour y mettre des panneaux solaires pourrait être bénéfique pour le climat (si toutefois l'énergie solaire produite permet d'éviter plus de gaz à effet de serre que ce qui était stocké dans la forêt disparue), mais ce ne sera en aucun cas bénéfique à la biodiversité locale. Dans un rapport rédigé conjointement, l'IPBES et le GIEC sont formels : climat et biodiversités ne doivent pas être traités comme des problèmes distincts, au risque de conduire à des maladaptations. Cela s'applique à tous les secteurs, y compris à celui de l'énergie : décarboner l'énergie au détriment de la santé de nos écosystèmes serait contre-productif. C'est ce dont on va parler dans la suite de cet article.
2. Energies renouvelables et biodiversité
2.1. En diminuant le réchauffement climatique, les énergies renouvelables sont bénéfiques pour la biodiversité à une échelle globale…
Bien que la première image qui nous vienne en tête quand on nous parle d'énergies renouvelables est souvent celle d'une éolienne ou d'un panneau photovoltaïque, les types d'énergies renouvelables sont bien plus variés : on peut citer l'hydraulique, la biomasse, les biocarburants, le biogaz, le solaire thermique, le bois, ou encore la géothermie.
Toutes ces énergies ont un point commun : elles peuvent se substituer à des énergies fossiles. Or la combustion d'énergies fossiles, c'est l'ennemi n°1 du climat : elles sont responsables de 86% des émissions de CO2 dans le monde sur les 10 dernières années [9] ! Tout ce qui nous permet de diminuer leur consommation a donc le potentiel de pouvoir lutter contre le réchauffement climatique. En ce qui concerne les énergies renouvelables, même si des débats persistent parfois sur ce sujet, les calculs sont formels : sauf exception (on y reviendra un peu plus bas), elles ont une empreinte carbone moins élevée que les énergies fossiles, et ce même en prenant en compte toutes les émissions du cycle de vie.
Et oui, l'énergie produite à partie d'un panneau photovoltaïque fabriqué en Chine est bien moins carbonée que n'importe quelle électricité issue de combustibles fossiles ! C'est ce que démontre RTE dans son rapport "Futurs énergétiques 2050″ [10] : quand l'électricité est produite via les énergies renouvelables, les émissions varient entre 6 (hydraulique) et 43 gCO2e/kWh (photovoltaïque), soit 10 à 200 fois moins que les énergies fossiles, et ce quelle que soit la technologie utilisée. Le cas de l'électricité renouvelable ne fait donc aucun débat.
Un rapport de Carbone 4 aboutit à la même conclusion pour la chaleur renouvelable : quand elle est produite à partir de biomasse ou de solaire thermique, elle est 15 fois moins carbonée que quand elle est issue de gaz fossile. Pour les pompes à chaleur, la réduction est d'un facteur 6 ou 7, et de 5 pour le biogaz [11].
Ça se complique un peu pour les biocarburants : une analyse de cycle de vie menée par l'ADEME montre que sans changement d'affectation des sols, les filières de biocarburants présentent une empreinte carbone de 50 à 70% moins élevée que les équivalents fossiles, en fonction de la filière étudiée [12]. Le hic, c'est que les biocarburants consommés aujourd'hui sont largement issus de cultures qui ont détruit des écosystèmes riches en carbone stocké, comme des forêts ou des tourbières. Parce que ces cultures, il faut bien les mettre quelque part ! C'est par exemple ce qui se passe quand une culture de palmiers à huile vient remplacer une forêt. C'est autant de carbone qui est reparti dans l'atmosphère, ce qui vient considérablement alourdir le bilan des biocarburants, au point d'annuler complètement leur bénéfice climatique (en plus d'être un désastre pour la biodiversité). Ainsi, d'après une étude réalisée par l'ONG Transport & Environnement, les biocarburants dits "de première génération" (c'est-à-dire issus de cultures alimentaires) auraient une empreinte carbone en moyenne 50% supérieure aux équivalents fossiles [13]. Mais cette contreperformance des biocarburants n'est pas une fatalité : les biocarburants "avancés", qui ne sont pas issus de cultures alimentaires, ont une empreinte carbone bien inférieure aux carburants fossiles, et les réglementations visant à lutter contre le changement d'affectation des sols se multiplient. Les directives européennes RED visent justement à garantir le bénéfice climatique des biocarburants consommés dans son territoire.
En bref, à part le cas des biocarburants qui reste ambigu, les énergies renouvelables permettent une diminution des gaz à effet de serre, et donc du réchauffement climatique. Et ça, c'est une super nouvelle pour la biodiversité à une échelle globale, puisqu'il s'agit là d'une des 5 pressions qui s'exercent sur elle. Mais ce n'est pas si simple : qui dit énergie, dit infrastructures. Et qui dit infrastructures, dit impacts locaux sur la biodiversité ! Regardons ça de plus près.
2.2. … Mais les énergies renouvelables ont des impacts négatifs sur la biodiversité à l'échelle locale !
Pour pouvoir produire des énergies renouvelables, on a besoin d'infrastructures. Sur le site d'implantation (exemple : éolienne), mais aussi sur tous les sites physiques dont dépend la chaîne de valeur (ex : site d'extraction minière permettant d'obtenir les matériaux pour construire l'éolienne). Et ça, ça peut causer des dégâts aux écosystèmes situés sur chacun de ces sites.
Tous les types d'énergie renouvelables ont donc des impacts négatifs sur la biodiversité. Une étude parue dans Renewable and sustainable Energy Reviews et reprise par la FRB (Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité) recense ces impacts. Quelques exemples sont présentés ci-dessous [14] :
Énergie Solaire
L’énergie solaire peut engendrer des pertes et des modifications d’habitats importantes sur le lieu de production, mais également sur les sites d’activités extractrices fournissant les matières premières. Les flux solaires liés aux panneaux peuvent également entraîner des collisions et des brûlures d’oiseaux, pouvant causer leur mort. Les herbicides utilisés pour entretenir les terrains peuvent aussi provoquer l’intoxication voire la mort d’individus.
Énergie Éolienne
Les éoliennes peuvent perturber les voies migratoires de certaines espèces d’oiseaux et de chauve-souris, entraîner des collisions, des traumatismes internes aux chauve-souris (on parle de barotrauma : lésions causées par des dépressions d’air associées au mouvement des pales) ou encore des phénomènes d’évitement autour des parcs éoliens, menant à une perte d’habitat. Des impacts sur les habitats ont également lieu sur les exploitations minières.
Hydroélectricité
Comme l’énergie solaire et éolienne, l’hydroélectricité entraîne une perte et une fragmentation des habitats sur le lieu de son implantation. Des perturbations des voies migratoires de certaines espèces de poisson ont aussi été observées, ainsi qu’une modification des régimes hydriques en amont et en aval des installations hydroélectriques, et une détérioration locale de la qualité de l’eau.
Biomasse
Les plantations d’arbres, notamment en monocultures, peuvent engendrer des pertes d’habitat et de biodiversité causés par le changement d’usage des terres. On observe également des phénomènes d’invasions biologiques causées par certaines plantes exploitées pour leur biomasse, comme l’eucalyptus.
Biocarburants
On l’a déjà évoqué plus haut, la culture de matières premières pour produire des biocarburants cause énormément de destruction d’habitats : par exemple des forêts riveraines ont été détruites au Brésil pour produire de l’éthanol à partir de canne à sucre, et des cultures de palmier à huile ont pris la place de forêts tropicales primaires en Asie du Sud Est. De fortes pollutions des eaux et des sols sont aussi associées à la production de biocarburants, en raison des engrais et pesticides employés pour la culture des matières premières, mais aussi en lien avec les effluents industriels de la transformation. Enfin, certaines matières premières utilisées pour produire des biocarburants peuvent se révéler envahissantes, comme le Miscanthus.
Si on devait résumer cette section en une seule phrase, ce serait la suivante : l'énergie sans impact, ça n'existe pas. De la même façon que les énergies renouvelables ne sont pas "zéro carbone" comme on l'entend encore parfois, elles ne sont pas non plus inoffensives pour la biodiversité. En réalité, la bonne question, ce n'est pas de savoir si les énergies renouvelables ont des impacts négatifs sur la biodiversité, car la réponse sera toujours oui. La bonne question, c'est de savoir si les impacts des énergies renouvelables sur la biodiversité sont plus ou moins importants que ceux de ce qu'elles essaient de remplacer : les énergies fossiles.
2.3. Les énergies renouvelables tendent à avoir un impact sur la biodiversité plus faible que les énergies fossiles
Si l'incidence des énergies fossiles sur le climat est aujourd'hui bien connue et documentée, on parle beaucoup moins de leur impact sur la biodiversité. Les combustibles fossiles sont pourtant néfastes pour la biodiversité à plusieurs niveaux de leur cycle de vie.
En amont, les activités d'extraction du charbon peuvent donner lieu à des destructions d'écosystèmes. Une étude a ainsi montré qu'aux Etats-Unis ces opérations avaient entraîné la destruction de plus de 150 000 hectares de forêts dans seulement 4 états (Kentucky, Tennessee, Viriginie, Virginie Occidentale), menant à la mort de près de 200 000 Parulines azurées, une espèce d'oiseaux [15]. Au niveau des centrales électriques, des collisions d'oiseaux sont fréquemment observées. Les pluies acides engendrées par les pollutions de ces centrales dégradent également fortement les écosystèmes environnants, tout comme les émissions de mercure, un co-produit des centrales électriques fossiles. A tous ces impacts s'ajoute évidemment le réchauffement climatique, très largement causé par les combustibles fossiles, et qui constitue une des 5 pressions majeures sur la biodiversité, comme expliqué un peu plus haut.
L'énergie nucléaire n'est pas en reste : pour se refroidir, les centrales nucléaires utilisent de l'eau des écosystèmes environnants avant de l'y renvoyer à une température plus élevée. Cela augmente la température de l'eau locale, ce qui peut mener à une perturbation des espèces et des écosystèmes [16]. Plus en amont, les activités d'extraction et de broyage de l'uranium donnent lieu à des déchets toxiques et à des eaux contaminées qui peuvent entraîner la mort de certaines espèces [17]. Enfin, des collisions d'oiseaux avec des équipements et des tours de refroidissement des centrales nucléaires ont aussi été documentées : une étude a par exemple montré qu'en 1982, 3000 oiseaux sont morts en 2 nuits successives suite à des collisions avec une centrale nucléaire [18].
Finalement, les énergies renouvelables sont-elles plus ou moins préjudiciables à la biodiversité que les énergies fossiles ? Les études qui ont tenté de répondre à cette question sont peu nombreuses, car contrairement à l'impact sur le climat qui s'évalue aisément en quantifiant les émissions de gaz à effet de serre, celui sur la biodiversité ne peut pas être quantifié par une métrique unique.
Une étude a effectué une revue de la littérature visant à quantifier et comparer la mortalité de l'avifaune par kWh d'électricité produite avec de l'énergie éolienne, nucléaire et fossile, en prenant en compte l'ensemble de leur cycle de vie [19]. Cette étude conclut que la mortalité aviaire par GWh produit est environ 17 fois plus importante pour les énergies fossiles que pour les énergies éolienne et nucléaire, avec des impacts qui se situent à des endroits différents du cycle de vie pour les 3 types d'énergie. L'énergie éolienne affecte l'avifaune essentiellement sur le lieu d'implantation de l'éolienne tandis que l'impact des énergies fossiles est principalement lié au réchauffement climatique. Quant à l'énergie nucléaire, le risque pour la biodiversité est équitablement réparti entre les lieux d'extraction de l'uranium et la centrale.
L'article attire l'attention sur le fait que l'impact le plus visible d'une technologie n'est finalement pas toujours justifié : les éoliennes, souvent pointées du doigt à cause des collisions de l'avifaune avec leurs pales, se révèlent finalement bien moins impactantes que les énergies fossiles, dont l'impact est plus diffus dans l'espace et dans le temps.
Une 2nde étude s'est intéressée cette fois à la comparaison des impacts de la production d'électricité photovoltaïque par rapport au mix électrique traditionnel des Etats-Unis (dominé par le charbon et le gaz naturel) [20]. 32 indicateurs d'impact ont été évalués, répartis en 5 thèmes : occupation des sols, santé et bien-être humains, vie animale et végétale, ressources géohydrologiques, et changement climatique. L'article conclut que l'énergie photovoltaïque est bénéfique pour 22 de ces indicateurs, neutre pour 4 autres, et que les 6 indicateurs restants demandent des recherches plus approfondies pour pouvoir trancher. En particulier, l'énergie issue des centrales solaires occupe autant voire moins de sols que celle produite par les centrales à charbon en prenant en compte tout le cycle de vie. Elle est également responsable de 25 fois moins de polluants causant les pluies acides, et de 30 fois moins de mercure que l'énergie électrique moyenne états-unienne.
Si ces 2 seules études ne nous permettent évidemment pas de conclure que les énergies renouvelables sont systématiquement meilleures pour la biodiversité que les énergies fossiles, elles permettent de nuancer les reproches souvent faits aux énergies renouvelables quant à leur impact négatif sur la biodiversité.
En ce qui concerne la biodiversité à l'échelle globale, les énergies fossiles partent avec un sérieux handicap puisqu'elles contribuent bien plus au réchauffement climatique que les énergies renouvelables. Pour ce qui est de l'impact sur la biodiversité locale, chaque projet doit être étudié au cas par cas mais les éléments présentés dans cet article tendent à montrer que les énergies fossiles sont bien moins inoffensives que ce que l'on pourrait croire, surtout quand on prend en compte tout leur cycle de vie !
Conclusion
Notre bien-être et notre économie dépendent de la santé des écosystèmes, dont l'état se dégrade à un rythme très inquiétant. Les questions de biodiversité et de climat doivent être traitées conjointement pour ne pas tomber dans des mal-adaptations qui seraient contre-productives, y compris dans la production d'énergie. Toute forme d'énergie induit des impacts négatifs sur la biodiversité, et les énergies renouvelables n'y échappent pas. L'enjeu est donc de faire en sorte que l'impact des énergies renouvelables soit moindre par rapport à celui des énergies fossiles, pour assurer un bénéfice net.
En permettant de diminuer le réchauffement climatique par rapport aux énergies fossiles (sauf exception), on sait qu'elles réduisent déjà une pression globale sur la biodiversité. Les énergies renouvelables ont cependant des impacts négatifs locaux sur toute leur chaîne de valeur (au même titre que les énergies fossiles !), qu'il ne faut pas ignorer.
Des mesures peuvent être prises pour les réduire : le rapport conjoint de l'IPBES et du GIEC citent par exemple le pâturage sous les panneaux solaires qui pourraient augmenter le stock de carbone des sols, ou l'ajout de végétation qui pourrait fournir des habitats aux pollinisateurs.
Chez Inuk, quand nous sélectionnons nos projets partenaires, nous examinons soigneusement les impacts et bénéfices potentiels qu'ils peuvent représenter sur la biodiversité. Par exemple, notre partenaire Akuo Energy opère dans le Sud de la France plusieurs projets qui allient énergie photovoltaïque et agriculture : mise à disposition des parcelles à un éleveur pour le pacage de ses moutons, plantes mellifères pour assurer une source de nourriture aux abeilles, installation des panneaux sur une serre d'abricotiers afin d'apporter de l'ombre aux arbres et de réduire l'humidité. Au Royaume-Uni, les chaudières biomasse de notre partenaire Kyotherm sont alimentées par du bois issu de forêts locales durablement gérées, qui n'engendrent pas de déforestation.
"To be holistically effective, renewable energy development will benefit from consideration of a circular economy and, ultimately, biodiversity"
- Rapport IPBES x IPCC [8]
Même en prenant des précautions, le déploiement des énergies renouvelables engendrera dans l'absolu certains impacts négatifs pour la biodiversité. La sobriété et l'efficacité énergétique doivent donc rester la priorité, pour diminuer nos besoins globaux en énergie, et ainsi les infrastructures associées.
Contactez-nous pour en savoir plus sur la contribution carbone avec Inuk

Sources
[3] World Economic Forum, 2020, Nature Risk Rising: Why the Crisis Engulfing Nature Matters for Business and the Economy (https://www3.weforum.org/docs/WEF_New_Nature_Economy_Report_2020.pdf)
[4] Museum National d'Histoire Naturelle, 2022, SIXIEME EXTINTION DE MASSE : LA DISPARITION DES ESPECES A ETE LARGEMENT SOUS-ESTIMEE (https://www.mnhn.fr/fr/actualites/sixieme-extinction-de-masse-la-disparition-des-especes-a-ete-largement-sous-estimee)
[5] IPBES, 2020, Le rapport de l'évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques - Résumé à l'intention des décideurs (https://files.ipbes.net/ipbes-web-prod-public-files/2020-02/ipbes_global_assessment_report_summary_for_policymakers_fr.pdf)
[7] UN Environment Programme, 2019, Le dangereux déclin de la nature : Un taux d’extinction des espèces « sans précédent » et qui s’accélère (https://www.unep.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/le-dangereux-declin-de-la-nature-un-taux-dextinction-des)
[9] IPCC, 2021, Climate Change 2021: The Physical Science Basis (https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/)
[11] Carbone 4, 2022, Chaleur renouvelable : la grande oubliée de la stratégique énergétique française ? (https://www.carbone4.com/files/Publication_Carbone_4_Chaleur_renouvelable.pdf)
[12] ADEME, 2010, Analyses de Cycle de Vie appliquée aux biocarburants de première génération consommés en France (https://librairie.ademe.fr/ged/1397/acv_biocarburants_premiere_generation_france_2010-rapport.pdf)
[13] Transport & Environnement, 2016, Globiom : the basis for biofuel policy post-2020 (https://www.transportenvironment.org/articles/globiom-basis-biofuel-policy-post-2020)
[14] Gasparatos, A., Doll, C.N.H., Esteban, M., Ahmed, A., Olang, T.A., 2017, Renewable energy and biodiversity: implications for transitioning to a Green economy. Renew. Sustain. Energy Rev. 70, 161–184 (https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1364032116304622)
[15] Winegrad, G., 2004, Wind turbines and birds. In: Susan Schwartz (Ed.), Proceedings of the Wind Energy and Birds/Bats Workshop: Understanding and Resolving Bird and Bat Impacts (https://tethys.pnnl.gov/sites/default/files/publications/Wind_Energy_Birds-Bats_Workshop_2004.pdf)
[18] Maehr, David, et al., 1983. Bird casualties at a central Florida power plant. Florida Field Naturalist, 45–68 (https://digitalcommons.usf.edu/ffn/vol11/iss3/1/)
[19] Sovacool, 2009. Contextualizing avian mortality: a preliminary appraisal of bird and bat fatalities from wind, fossil-fuel, and nuclear electricity Energy Policy, 37 (2009), pp. 2241-2248 (https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0301421509001074)
[20] D. Turney, V. Fthenakis / Renewable and Sustainable Energy Reviews 15 (2011) 3261– 3270 (https://usesusa.org/wp-content/uploads/2024/01/Environmental-impacts-from-the-installation-and-operation-of-large-scale-solar.pdf)